là où j’ai peur
j’explore
le creux de la vague les quartiers mal famés
les âmes désolées les campagnes démembrées
les greniers encombrés de secrets de famille
les chambres froides les esprits tortueux
les mansardes confinées des maisons isolées
j’arpente
la cour sans soleil
le bas-côté des nationales
les chemins de caillasses
je déchiffre
les sourires de sphynx le regard des sorcières
les mots fatigués des livres empoussiérés
les missives
où gisent les amours oubliés
je compare le poids des remords à celui des regrets
je respire bruines fumées et brouillards
j’avale
les romans noirs les faits divers tragiques
je regarde sans ciller
les cauchemars
les serpents aux yeux jaunes
les promesses trahies
je collectionne les silences
et les effarements
je parle avec les ombres avec les souvenirs
je toise le sale chien froid qui aboie son mépris
je mords la poussière
et le fruit interdit
je réclame justice et encore justice
je porte la colère
je frotte ma vie à la vie
là où j’ai peur je vais*
j’explore
j’arpente
je déchiffre
je compare
je respire
j’avale
je regarde
je collectionne
je parle
je toise
je mords
je réclame
je porte
je frotte ma vie à la vie
là où j’ai peur
je vais
*J’ai retrouvé sur un de mes cahiers de l’époque cette phrase qui pourrait être une devise :
« Là où j’ai peur, j’irai. » Anne Sylvestre, Le Monde, 11 novembre 2018
écouter le poème sur une improvisation de TRINQ