tigré
le chat a posé son regard sur le couple d’humains
s’assurant que leur sommeil était une absence
il était en son pouvoir de les faire sombrer à leur insu de la veille à l’inconscience
– pour que le charme agisse il lui suffisait d’emplir la chambre
du bourdonnement infime de sa gorge et du rythme de sa respiration lente –
il était tôt encore
il s’est longuement absorbé dans l’observation
des tracés fauves – feu rouille or ocre – du drap
sur lequel s’imprimaient aussi les rais de la lumière naissante à travers le volet
et comme un ruissellement s’infiltre dans la terre
son corps tigré s’est fondu dans les zébrures du tissu
il a clos ses paupières et a laissé son esprit de détacher et se diffuser
c’était un voyage
il était le frémissement du monde il était son ample mouvement
il était la nage et le poisson et l’océan et l’onde de la vague
l’envol et l’oiseau l’azur et le souffle du vent
il était un crépitement une flammèche une braise
le flocon qui se pose et la lourde avalanche
du lit est venu le bruissement léger des corps qui s’éveillent
le chat s’est redressé
reprenant son apparence très ordinaire de chat tigré sur un drap zébré
s’approchant de très près on aurait pu déceler
au fond de ses yeux verts quelques traces de neige fondue
et dans son pelage une discrète mais persistante odeur de cendre
mêlée de brise marine
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