l’anonyme       [Vivian Maier]

VM n’est pas une poseuse

ne se regarde pas ne cherche pas à être vue

pour la photo ne se coiffe ne se maquille pas ne cherche pas son meilleur profil

ne veut pas être désirée ni exprimer une singularité

n’a pas

le sourire avantageux le regard hautain facétieux mystérieux la mine altière

ne triomphe pas ne fait pas de manières ne cherche pas à plaire

VM n’est pas une poseuse

sur l’escalier le mur les plaques de ciment le sable

l’asphalte la poubelle le journal froissé

elle dépose son ombre -manteau chapeau-

signature dans un coin ou bien visible au premier plan

 

elle se détache

 

VM n’est pas une poseuse

elle dépose son reflet s’en détache

le miroir le rétroviseur la vitre la vitrine le grille-pain chromé

reçoivent les cheveux courts les habits boutonnés

démultiplient l’image de face de profil

VM n’est ni laide ni belle

n’accroche pas la lumière n’est pas terne pour autant

est une personne sans aspérités sans reliefs -un personnage plat

elle n’est personne

 

une fois un sourire esquissé comme pour s’essayer à

 

VM ne développe pas ses photos n’expose pas ne s’expose pas

ne demande rien à quiconque

ne cherche pas d’amis n’attire pas la sympathie

n’est pas détestable non plus

elle est simplement là où elle s’est elle-même

déposée

puis détachée

 

pas de facétie pas d’amusement elle est

immobilité

simplement là

concentrée

elle cadre la scène mesure l’angle la lumière

positionne son corps cale son appareil

– sujet-objet qui prend/qui sera sur la photo-

elle jauge

 

et recommence sans fin

 

elle n’est ni satisfaite ni mécontente

n’interpelle pas [regardez-moi] ne pose pas de question [qui suis-je]

ne cherche pas de réponse [ainsi on se souviendra peut-être]

n’a pas de projet n’expérimente aucun concept

[lutte dérisoire contre l’effacement de mon être/

vérification de mon rapport au réel de ma présence au monde/

barrage contre ma raison vacillante]

ne se plaint pas [qui me sortira de l’abîme]

 

sur les photos -sans titre sans lieu sans date- accumulées à l’infini

son ombre son reflet se souviennent d’elle

au moins*

 

 

 

*Un jour j’ai pris une photo de mon ombre
afin qu’elle au moins se souvienne de moi
Jacques Réda

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