les objets séparés
à L.*** la rivière claque de plongeons et de cris
le ciel brûle les yeux
la boutique est fraîche comme une caverne
et comme une caverne elle promet des trésors
à qui sait perdre son temps
il y a dans le pêle-mêle des objets
science
habileté ancienne
esprits ingénieux et mains adroites
fébrile improvisation
et patience
sur une étagère les deux discrets pots de terre
replets
sont la parfaite réplique miniaturisée de lourds récipients
anciens
où l’on puise à la louche
des soupes généreuses ou des fruits macérés dans l’alcool épicé
ces deux-ci sont si petits qu’ils ne serviront guère qu’à mettre à l’abri de l’air et du jour
des clous de girofle ou bien des grains de poivre
on pourrait sinon y déposer en vrac
tout ce qui traîne par là et qu’on ne sait ranger
trombone fève bouton capsule et capuchon
la vendeuse est glaneuse chineuse collectionneuse
son visage de gitane est beau sa peau est un très fin parchemin
nos langues se délient à l’unisson
je loue la perfection des deux très petits pots
qui trouveront –c’est décidé- chacun leur place dans deux maisons éloignées
elle les empaquette solidement dans des sacs distincts en prévision des deux voyages
et me conte qu’enfant avec sa sœur elles partageaient aussi les objets jumeaux
trouvés dans les greniers
elle s’attarde un instant sur les règles complexes et obscures de ce jeu
qu’elles appelaient les objets séparés
il est question de longs conciliabules de secret de mystère
et – je crois le deviner –
d’un fil invisible qui relie les objets
et les êtres siamois
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