c’est le printemps en effet

 

à la fin de l’après-midi arpentant les chemins d’herbe et de terre

pas à pas tu cartographies inventories deçà delà le territoire d’ici

à lents murmures dans le dictaphone

 

le château d’eau défraîchi est laid mais pratique

pour remplacer la boussole qui au fond de toi

ne connaît ni nord ni sud

 

docte comme une paysanne très vieille

qui en saurait long sur les saisons et sur le cours du monde

tu examines

la terre ocre-brun striée du frais labour

les chênes trapus enracinés sur des talus

les châtaigniers les noisetiers aux miniatures feuilles vert tendre recroquevillées

tout un pré planté de pommiers anciens petits tordus

– pas l’ombre d’une fleur encore quand les cerisiers en rajoutent dans la profusion –

les ajoncs hérissés les ronces griffues

les denses et larges tapis d’orties barrant l’accès aux champs

 

longeant un très haut taillis épais qui barre la vue

tu susurres plusieurs fois sauleraie roselière pour la douceur des mots en bouche

 

la fumée âcre d’un feu de branches et d’herbes qui couve

t’agace trop longtemps le nez

de très loin tu entends un tracteur au bras armé de lames circulaires

qui massacrent les branches et te vrillent les oreilles

cela te rend mauvaise et acariâtre

 

on peut trouver par hasard chemin faisant tombé d’une poche

un anneau de fil tordu auquel quelqu’un a accroché une clé que l’on ramasse

on peut trouver par hasard mais c’est plus rare

le cadenas du portail bringuebalant dans lequel entre la clé

tu l’y laisses contente comme une qui a trouvé le sésame

 

tu égrènes le nom de fleurs familières

violette  pâquerette  clochettes  primevère renoncules   trèfles  pissenlits

en botaniste consciencieuse tu prélèves celles qu’il te faudra apprendre à nommer

 

au loin si loin  il y a la mer

cachée après la route derrière les arbres

fondue dans l’amas de nuages

au loin si loin visible quand – rarement – le ciel est dégagé

 

c’est le printemps en effet

c’est le soir

pas à pas tu chemines et glanes pendant que l’ombre glisse à pas de loup

 

de retour tu écoutes les mémos dans le dictaphone

la voix est couverte par le vent en rafales les oiseaux aussi ont l’air de brailler

– tout était paisible pourtant –

tu déposes sur le papier les fragments du territoire capturés

et de longues fois t’y reprends pour les assembler les emboîter

tu rabotes pour que ça rentre de force parfois

tu identifies tes prélèvements

carotte sauvage   fumeterre  moutarde  euphorbe  stellaire holostée  buglosse

 

c’est un pénible labeur que de restituer l’élévation qu’il te semble avoir connue

– petite humaine – au cœur de la nature si pleine

à force de chercher de t’empêtrer dans les mots tu te sens vaguement nauséeuse

rien ne t’inspire et tu n’aspires à rien qu’à terminer ce texte que tu avais rêvé

fulgurant chant païen célébrant de la nature le renouveau

 

tu voudrais que ton esprit, comme celui du poète

[se meuve] avec agilité,

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,

[qu’il] sillonne gaiement l’immensité profonde

[et qu’il aille] se purifier dans l’air supérieur*

 

hélas tu planes vraiment au ras des pâquerettes

 

*Élévation, Baudelaire

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