filon de terre

sa nuit a été intranquille

parcourue de rêves troubles où il cherchait sans fin

à percer un mystère fuyant

 

les yeux ouverts dans la pénombre du jour à peine éveillé

il songe au filon de terre brun clair – boue de glaise de gravier sable et argile –

qui la veille au sortir du torrent glacial

a aspiré son pied nu

 

il s’absorbe dans la réminiscence de l’enveloppement tiède

il veut la matière

 

c’est le début d’un automne où le vent agace déjà

 

sous ses ongles écorchés ça crisse

ses mains se blessent se glacent

creusant raclant

griffant le fond du torrent pour empoigner le cœur de la terre

qu’il enfouit dans le linge plaqué sur son ventre

 

rentré trempé encore

il triture le mol agrégat

jette les impuretés extrait le trop-plein d’eau

et trouve la finesse exacte du grain

révèle la souple résistance

 

plus tard il s’habille de sec chauffe son corps au feu

 

l’atelier est un refuge

 

il rit de l’attente qu’il sent monter

s’étonne de l’urgence

 

sur la toile tendue au sol

à courtes poignées  il balance la terre

la plaque et l’étale de la paume

le large pinceau la lame du couteau les doigts s’emportent fébriles

fusionnant la terre à la peinture

sculptant de larges traits épais

imprimant un mouvement

primitif

brusque

comme un sursaut

comme un furieux jaillissement

 

l’homme est tout entier aspiration et repli

 

au bout d’un très long temps enfin

il respire plus libre

se laisse tomber dos au mur

 

regarde

ne comprend pas

 

sur la toile

écorce sable humus roc gisent

soumis à la vigueur du vent

 

c’est là

précisément ce qu’il voulait

et étranger

 

il va dormir

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